Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE
Chapitre 2. La période « hellénistique »[89] (323 - 31 av. J.-C.)
SOMMAIRE :
1.
Les rhéteurs
1.1.
Théophraste
1.2.
Hermagoras de Temnos
1.3.
Athénée
2.
La rhétorique latine
2.1.
Les débuts
2.2.
La Rhétorique à Hérennius
2.3.
Cicéron
2.3.1.
La persuasion
2.3.2.
Les parties de la rhétorique
2.3.2.A.
L’invention
2.3.2.B.
La disposition
2.3.2.C.
L’élocution
2.4.
Évolution
Une nouvelle forme d’état s’installe, la monarchie territoriale [90]. Démétrius de Phalère [91] (350-283 av. J.-C.) est nommé gouverneur d’Athènes de 317 à 307 av. J.-C.
Le IIIe siècle av. J.-C. et le IIe siècle av. J.-C. se caractérisent par la multiplication des centres de vie intellectuelle [92] : la philosophie et la comédie restent à Athènes - Athènes garde malgré tout son prestige culturel [93] - alors que la poésie s’épanouit à Alexandrie [94] - ville où Ptolémée Lagos [95] fonde la célèbre Bibliothèque et le célèbre Musée d’Alexandrie.
Les discours des orateurs attiques sont étudiés à la Bibliothèque d’Alexandrie par des grammairiens-philologues [96] qui classent les manuscrits et les commentent pour les rendre accessibles au public - Aristophane de Byzance établit par exemple, un répertoire lexicographique contenant de nombreuses figures. Apparaît ainsi une conception de la rhétorique où l’évaluation des discours existants [97] l’emporte sur l’art de produire de nouveaux discours.
Par
la suite, la grammaire [98]
va se développer et traiter d’une des qualités du
style énoncée par Théophraste : la
correction. Les grammairiens séparent ce qui est
correctet ce qui ne l’est pas, à savoir le
barbarismedu mot ou le solécisme de l’énoncé.
Les fautes sont requalifiées en écarts
lorsqu’elles apparaissent dans des textes écrits par des
poètes. La clarté est donnée comme une
évidence, la convenance est développée,
seule l’élégance reste du domaine de la
rhétorique ; elle est conçue comme un écart
par rapport à la façon ordinaire et banale de parler.
1. Les rhéteurs
1.1. Théophraste (370-287 av. J.-C.)
Théophraste est le successeur d’Aristote à la tête du Lycée (de 323 à 287 av.). Il écrit plusieurs ouvrages portant sur tous les aspects de la rhétorique [99] : Sur les enthymèmes, Sur les exemples, Sur les preuves non techniques, Sur l’action oratoire, Caractères.
Théophraste considère le discours comme une construction dont l’orateur doit maîtriser tous les éléments, aussi bien le choix des mots que leur arrangement. Le discours doit alors posséder quatre qualités : la correction, la clarté, l’élégance et la convenance. La correction est obtenue par la maîtrise du grec, la clarté dépend du choix des mots, l’élégancecorrespond à l’ornement, et la convenance renvoie à l’adaptation de l’ornement au sujet traité et au genre oratoire.
Théophraste développe l’élocution et consacre un traité, le Peri lexeôs [100], à cette question. Il propose une véritable stylistique et détaille la théorie des trois styles : le style simple, le style moyen [101] et le style élevé. C’est dans la lignée de Théophraste que vont se développer des études ne portant que sur les ornements, comme les monographies sur les figures et les traités sur le style. La rhétorique dite “intégrale” d’Aristote va ainsi être scindée en deux rhétoriques, une rhétorique centrée sur l’invention [102] et une rhétorique centrée sur l’élocution. La première traite des « états de cause » et son plus grand théoricien est Hermagoras, la seconde est une stylistique et ses théoriciens sont notamment Denys d’Halicarnasse, Démétrius de Phalère [103], Longin [104], et plus tard Hermogène.
Évolution
L’éloquence délibérative décline fortement à Athènes au IIe siècle av. J.-C., l’éloquence judiciaire n’est pas affectée mais dans les procès l’orateur s’adresse à l’autorité monarchique ou à ses représentants et utilise l’éloge ; l’éloquence épidictique est ainsi largement favorisée. La rhétorique s’enseigne dans tous les royaumes hellénistiques ; les rhéteurs se consacrent à l’enseignement avec pour exercice privilégié la déclamation [105]. Des exercices préliminaires ou progymnasmata [106] précédent la déclamation ; ils sont très codifiés et donnent aux élèves des habitudes de composition mécanique [107]. Ces exercices sont bien connus grâce notamment aux manuels conservés [108] de Théon (Aelius) (Ier siècle ap. J.-C.), du pseudo-Hermogène [109], de Libanius (314-393 ap. J.-C.), d’Aphtonius d’Antioche (IV-Ve siècle ap. J.-C.), et de Nicolas le sophiste (Ve siècle ap. J.-C.). Du Ier siècle ap. J-C. au Ve siècle ap. J-C., la liste des exercices reste la même : quatorze exercices devenus canoniques - la fable, la narration, la chrie, la sentence, la réfutation, la confirmation, le lieu commun, l’éloge, le blâme, la comparaison, l’éthopée, la description, la thèse, et la proposition de loi [110].
Cette
formation rhétorique [111]
s’accompagne d’une formation littéraire et d’une
formation historique ; toutes trois servent à former les
élites.
1.2. Hermagoras de Temnos (moitié du IIe siècle av. J.-C.)
La théorie des « états de cause » représente l’essentiel de la rhétorique tardive. On doit cette théorie à Hermagoras de Temnos [112], rhéteur dont la technè est perdue - Hermagoras est connu uniquement à travers les écrits des rhéteurs qui lui ont succédé [113].
Hermagoras distingue deux parties [114] :
(i) l’invention des argumentssur laquelle il met l’accent
et (ii) l’économie qui regroupe le jugement (évaluation des arguments), la disposition (enchaînement logique des arguments), l’ordre (enchaînement à adopter [115]) et l’élocution [116].
Hermagoras restreint le domaine de la rhétorique aux questions politiques pouvant être résolues par les citoyens (questions relevant de l’opinion) et non par les experts (questions relevant de la science). À l’intérieur des questions politiques, il distingue la THÈSE (question générale) et l’HYPOTHÈSE (cas particulier) pour laquelle sont prises en considération les circonstances, à savoir la personne, l’acte, le temps, le lieu, la cause, la manière et le moyen.
Hermagoras s’engage à classer les différentes questions politiques particulières ; il donne ainsi naissance à la doctrine des staseis ou « états de cause » [117], doctrine qui est fortement liée à la diversification des procédures judiciaires réelles.
Chaque « état de cause » exigeant un traitement particulier, la finalité du système est de trouver un schéma d’argumentation approprié à chaque type d’état, schéma qu’on remplira grâce à la grille des circonstances. Deux grandes classes d’« états de cause » sont distinguées selon que le débat porte sur un fait Etat de cause logique ou sur l’interprétation d’un texte Question légale.
Nous reprenons le tableau d’ensemble proposé par Françoise Desbordes (1996, page 93).
1. Etat de cause logique 1.1.
Conjecture (le fait a-t-il eu lieu ?) |
Tabl. 3 : Le système d’Hermagoras
Le système d’Hermagoras est largement appliqué dans les écoles ; les élèves analysent un sujet de déclamation, en déterminent « l’état de cause », puis le traitent à l’aide du plan type correspondant.
1.3. Athénée (IIe siècle av. J.-C.)
Athénée est considéré comme l’émule d’Hermagoras ; il simplifie le système des « états de cause » en le limitant à quatre grandes subdivisions [118] : l’état exhortatif (réservé au genre délibératif), l’état conjectural (quand l’orateur doit établir que l’action a ou n’a pas eu lieu), l’état de définition (quand l’orateur doit établir que l’instance judiciaire choisie est ou n’est pas la bonne), et l’état selon le droit (quand l’orateur doit montrer que l’action est conforme ou non à la justice). Il pose que la THÈSE peut être un élément de la cause particulière, et donc que l’argumentation sur un point d’ordre général peut étayer une démonstration sur un cas précis.
Athénée fournit également des préceptes en matière d’action oratoire et écrit sur les figures – figures qu’il conçoit comme étant des ornements agréables pour l’auditeur.
Évolution
Tous les courants philosophiques déclinent à partir du IIe siècle av. J.-C. et c’est à Rome qu’ils renaîtront. Les premiers maîtres Grecs d’éloquence pénètrent à Rome au début du IIe siècle av. J.-C. mais leurs œuvres ne sont réellement diffusées dans les écoles romaines qu’au début du Ier siècle avant J.-C.
2. La rhétorique
latine
L’art oratoire se développe après les guerres puniques, qui ont modifié l’équilibre politique de Rome. La parole devient l’instrument nécessaire d’une carrière politique ; la noblesse découvre le pouvoir des mots et cherche à maintenir son hégémonie sur le peuple. Ce sont les maîtres Grecs qui répandent à Rome les techniques de l’éloquence [119], ce qui inquiète les sénateurs veillant au respect des traditions.
Rome
adopte la rhétorique mais la République Romaine n’est
pas une démocratie, la parole publique y est très
surveillée : le magistrat qui préside l’assemblée
du peuple ne donne la parole qu’à ceux qui ont l’autorité
suffisante ; dans les tribunaux, les juges sont des membres des
hautes classes et les plaideurs sont de grands personnages. Il faut
attendre le déclin de ce système pour que la parole
revête davantage d’importance [120].
2.1. Les débuts
Marcus Cornelius Cethegus est le premier fondateur de l’éloquence romaine mais selon Cicéron, Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.) est le premier véritable orateur ; Cicéron admire son éloquence [121]. Caton l’Ancien est un défenseur de la romanité contre la montée de l’hellénisme ; il feint d’ignorer le grec et se charge de l’éducation de son fils pour éviter qu’il soit « contaminé » par les maîtres Grecs qui enseignent de plus en plus à Rome. Caton associe histoire et rhétorique ; dans son œuvre historique les Origines il intègre à son récit des discours qu’il a pour certains prononcés lui-même. Le discours Pour les Rhodiens est l’un des cent cinquante discours de Caton que Cicéron a répertoriés.
Les Gracques, Tiberius et son frère Caius sont en rupture avec les débuts de la rhétorique latine. Ils utilisent toutes les techniques oratoires, surtout les effets pathétiques auxquels ils ont été initiés par les meilleurs maîtres de la rhétorique grecque. Ils mettent leurs prouesses oratoires au service des paysans miséreux de la plèbe romaine et tentent, au sacrifice de leur vie, de faire passer une loi de redistribution des lopins de terre usurpés par la noblesse [122].
Ils apparaissent ainsi comme les créateurs de la rhétorique des défenseurs du peuple [123]. Cicéron critique leur action politique mais admire leur style et surtout leur action oratoire [124].
Évolution
Des cours de rhétorique professés en latin sont ouverts à Rome dès 93 av. J.-C. mais le censeur Crassus [125] fait fermer ces écoles peu de temps après leur ouverture - il les appelle les ludi impudentiae. Cicéron dans son De l’orateur - Crassus parle :
« il y a deux
ans, voici que des Latins ont apparu comme professeurs d’éloquence.
Durant ma censure, j’avais, par mon édit, fermé leurs
écoles, non point comme, paraît-il, le disaient
certaines gens, pour empêcher nos jeunes gens d’aiguiser leur
talent naturel ; je ne voulais pas au contraire qu’on vînt
émousser ce talent et fortifier le penchant à
l’impudence. [...] ces nouveaux maîtres, je voyais bien qu’on
ne pouvait rien apprendre d’eux, sinon à tout oser, tendance
qui, même jointe à de réelles qualités,
est insupportable en elle-même et doit être soigneusement
réprimée. Comme c’était là tout ce que
nos gens enseignaient et que leur école était une école
d’impudence, je crus qu’il était du devoir des censeurs de
veiller à ce que le mal ne s’étendît pas. »
(Cicéron, De l’orateur Livre III, XXIV, 93-94,
[1971], pages 37-38, Les Belles Lettres)
L’œuvre Rhétorique à Hérennius ainsi que les traités de Cicéron permettent alors de transcrire une formation rhétorique qui ne peut plus se transmettre oralement.
2.2. La Rhétorique à Hérennius
La Rhétorique à Hérennius [126] est le premier texte théorique latin conservé ; c’est un manuel complet en quatre livres destiné à l’instruction des Romains [127], dans une visée sans doute politique. Il n’y a pas de datation précise de l’œuvre mais il semblerait qu’elle ait été rédigée entre 86 et 83 av. J.-C. ; le nom de son auteur n’est pas connu [128]. L’œuvre présente des préceptes très généraux en langue latine, préceptes qui étaient connus jusque-là seulement en grec. Cette œuvre concilie l’enseignement d’Aristote [129], les développements d’Isocrate et les apports de la rhétorique hellénistique ; les exemples sont pris dans la réalité romaine [130].
L’auteur limite le système des « états de cause » à trois subdivisions : l’état conjectural, l’état légal, l’état selon le droit. Son œuvre est ainsi plus proche de celle d’Athénée que de celle d’Hermagoras [131].
Influencé par Isocrate, l’auteur accorde une grande place à la nécessité d’un entraînement régulier [132].
« la théorie sans pratique assidue de la parole n’est pas d’un grand secours ; tu comprendras ainsi qu’il faut mettre en application dans des exercices ces préceptes abstraits » (Rhétorique à Hérennius, Livre I, 1, [1997], page 2, Les Belles Lettres)
L’auteur reprend les trois genres oratoires [133] : le genre démonstratif, le genre délibératif et le genre judiciaire :
« Le genre démonstratif concerne l’éloge ou le blâme d’une personne déterminée. Le délibératif consiste en une discussion : il comporte persuasion et dissuasion. Le judiciaire repose sur un litige et comporte accusation ou réclamation avec défense. » (Rhétorique à Hérennius, Livre I, 2, [1997], pages 2-3, Les Belles Lettres)
- Le genre judiciaire est étudié dans les deux premiers livres ; il repose sur un litige et comporte accusation ou réclamation avec défense.
- Le genre délibératif est du domaine réservé aux magistrats, il consiste à chercher tantôt quel est le meilleur de deux partis, tantôt quel est le meilleur de plusieurs. L’auteur précise que certaines délibérations portent sur le fond même de la question, et que d’autres interviennent dans la discussion et le débat pour quelque motif extérieur à la question même. Tous les orateurs qui se prononcent ont pour but de proposer l’utile - dans un débat politique l’utile se divise en deux parties (qui regroupent les lieux du genre délibératif) : la sécurité, qui se subdivise en force et en ruse, et l’honnêteté, qui comporte ce qui est droit et ce qui est louable (sagesse, justice, courage, modération). Pour traiter l’ensemble de la cause, l’orateur peut utiliser les mêmes procédés que ceux des causes judiciaires.
- Le genre démonstratif comprend éloge et blâme. Ce genre se résume à un exorde - où l’orateur peut se louer lui-même ou louer la personne dont il parle, ou encore louer les auditeurs - et à un développement (qui diffère de la narration du judiciaire) sur les circonstances et le moment où chaque chose a été faite ; enfin, l’orateur termine par des conclusions brèves sous forme de récapitulations. L’auteur précise que ce genre employé seul est peu utilisé et que l’éloge et le blâme apparaissent plus souvent inclus dans les genres judiciaire et délibératif.
« Mais il ne
faut pas recommander avec moins de vigueur ce genre de cause parce
qu’il se rencontre rarement dans l’existence. En effet un
exercice auquel on peut être soumis quelquefois, il faut
s’efforcer d’être à même de le réaliser
au mieux. De plus s’il est moins fréquent de traiter ce
genre de cause séparément, l’éloge ou le blâme
occupent souvent beaucoup de place dans les causes judiciaires et
délibératives. » (Rhétorique à
Hérennius, Livre III, 15, [1997], page 101, Les Belles
Lettres)
Pour la première fois sont présentées les cinq parties de la rhétorique ; elles apparaissent comme étant les qualités que doit posséder l’orateur :
« L’orateur doit posséder les qualités d’invention, de disposition, de style, de mémoire et d’action oratoire » (Rhétorique à Hérennius, Livre I, 3, [1997], page 3, Les Belles Lettres)
Voici comment l’auteur définit ces qualités :
L’invention.
— consiste à trouver les arguments vrais ou
vraisemblables propres à rendre la cause convaincante.
(Livre I, 3, page 3). L’auteur accorde une grande importance aux
préceptes de l’invention : Parmi ces qualités
l’invention est à la fois la première et la plus
difficile à acquérir (Livre II, 1, page 30).
La disposition. — ordonne et répartit les arguments : elle montre la place qui doit être assignée à chacun d’eux. (Livre I, 3, page 3). L’auteur définit six parties [134] : exorde [135], narration, division, confirmation, réfutation et conclusion :
« L’exorde est le début du discours : il dispose et prépare l’esprit de l’auditeur ou du juge à écouter. La narration expose le déroulement des faits tels qu’ils se sont produits ou tels qu’ils peuvent s’être produits. Dans la division nous mettons en lumière les points d’accord ou de désaccord et nous exposons ce dont nous allons parler. La confirmation expose, preuves à l’appui, nos arguments. La réfutation détruit les lieux de l’argumentation adverse. La conclusion clôt avec art le discours. » (Rhétorique à Hérennius, Livre I, 4, [1997], pages 4-5, Les Belles Lettres)
La mémoire. — consiste à bien retenir les idées, les mots et leur disposition. (Livre I, 3, page 3). L’auteur considère la mémoire [136] comme un trésor qui rassemble toutes les idées fournies par l’invention et qui conserve toutes les parties de la rhétorique. (Livre III, 28, page 113).
L’action oratoire. — consiste à discipliner et à rendre agréables la voix, les jeux de physionomie et les gestes. (Livre I, 3, page 3).
L’auteur accorde une grande efficacité à l’action oratoire : Il faut savoir que bien dire le discours a pour effet que les paroles semblent venir du cœur. (Livre III, 27, page 113).
« Beaucoup ont
dit que l’action oratoire était ce qu’il y avait de plus
utile à l’orateur et de plus efficace pour persuader. Pour
ma part je ne me résoudrais pas aisément à
affirmer qu’une des cinq parties de la rhétorique l’emporte
sur les autres, mais j’assurerais hardiment que l’action offre
des avantages particulièrement grands. En effet trouver
des lieux adéquats, employer un style élégant,
disposer avec art les parties de la cause, retenir avec soin tous ces
éléments n’aura pas plus de pouvoir sans l’action
que l’action n’en aura toute seule sans ces autres qualités.
» (Rhétorique à Hérennius, Livre
III, 19, [1997], page 104, Les Belles Lettres)
Selon l’auteur, l’action oratoire comprend (i) les qualités de la voix - puissance, résistance, souplesse - et (ii) le mouvement du corps, qui consiste en un certain contrôle du geste et de la physionomie qui rend plus plausible ce que nous disons. (Livre III, 26, page 111).
Le style. [137] — Le style adapte à ce que l’invention fournit, des mots et des phrases appropriés. (Livre I, 3, page 3).
L’auteur divise l’étude du style en deux parties : (i) les genres auxquels doit se rapporter tout style oratoire, et (ii) les caractères du style oratoire.
Il distingue trois genres qu’il appelle types de styles et dans lesquels entre tout discours exempt de défauts. (Livre IV, 11, page 138) :
« Nous
appelons le premier, le type élevé, le second, le type
moyen, le troisième, le type simple. Le type élevé
consiste en un arrangement d’expressions nobles, dans une forme
fluide et abondante. Le type moyen est fait de mots moins relevés,
mais ni trop bas, ni trop communs. Le type simple s’abaisse jusqu'à
la pratique la plus courante d’un langage correct. » (Rhétorique
à Hérennius, Livre IV, 11, [1997], page 138, Les
Belles Lettres)
- le style élevé : « Un discours aura un style de type élevé si l’on applique à chaque idée le vocabulaire - propre ou figuré - le plus beau que l’on pourra trouver, si l’on choisit des pensées nobles qui se prêtent à l’amplification et à l’appel à la pitié et si l’on emploie des figures de pensée ou de mots qui ont de la grandeur » (Rhétorique à Hérennius, Livre IV, 11, [1997], pages 138-139, Les Belles Lettres).
-
le style moyen : « Le discours sera dans le style
moyen si, comme je l’ai dit, nous baissons tant soit peu le ton,
sans descendre cependant jusqu’au plus bas » (Rhétorique
à Hérennius, Livre IV, 13, [1997], page 140, Les
Belles Lettres).
-
le style simple : « celui qui s’abaisse jusqu’au
langage le plus ordinaire et le plus courant » (Rhétorique
à Hérennius, Livre IV, 14, [1997], page 142, Les
Belles Lettres).
L’auteur dénonce les excès dans le style [138] dus à l’utilisation de néologismes, d’archaïsmes, de métaphores forcées, de mots plus pompeux que le sujet ne le réclame (Livre IV, 15, page 144).
Tous les styles sont bons mais l’orateur doit alterner :
« Mais il faut que l’orateur change de style, en passant du style élevé au moyen, du moyen au simple et vice-versa plusieurs fois. Ainsi grâce à la variété on évitera aisément la lassitude. » (Rhétorique à Hérennius, Livre IV, 16, [1997], page 145-146, Les Belles Lettres)
L’auteur aborde la question des qualités du style ; il en dénombre trois : l’élégance, l’agencement des mots et la beauté (Livre IV, 17-18, pages 146 à 149).
- L’élégance est ce qui fait que chaque idée est exprimée dans une langue pure et intelligible. (Livre IV, 17, page 146) ; elle exige correction du latin et clarté. La clarté [139] rend le discours intelligible et limpide. (Livre IV, 17, page 146). La correction du latin conserve à la langue une pureté exempte de tout défaut (Livre IV, 17, page 146) - les deux défauts étant le solécisme et le barbarisme [140].
- L’agencement des mots consiste à disposer les mots de façon à donner à toutes les parties du discours un fini identique. (Livre IV, 18, page 147). Il s’agit de ne pas mettre à la file une série de mots se terminant de même ; d’éviter les hiatus(rencontres de voyelles), les hyperbates, ou encore les longues énumérations de mots ; de proscrire le retour trop fréquent d’une même lettre et la répétition trop fréquente d’un même mot dans une phrase.
- Enfin, l’ornement du discours (plusieurs variétés de figures) confère de la beauté au style : Donner de la beauté au style c’est orner le discours en le relevant par la variété. (Livre IV, 18, page 148). L’auteur traite des figures [141] :
« Tous les
styles de discours, le style élevé, le moyen, le simple
sont embellis par les figures de rhétorique dont nous
parlerons plus loin. Disposées avec parcimonie, elles
rehaussent le discours comme le feraient des couleurs. Placées
en trop grand nombre, elles le surchargent. » (Rhétorique
à Hérennius, Livre IV, 16, [1997], page 145, Les
Belles Lettres)
Il distingue figures de mots et figures de pensée :
« Il y a figure de mots quand un soin particulier est accordé seulement à l’expression. La figure de pensée, elle, a une beauté qui tient non pas aux mots, mais aux idées elles-mêmes. » (Rhétorique à Hérennius, Livre IV, 18, [1997], pages 148-149, Les Belles Lettres)
Nous présentons, en annexe, dans des tableaux les différentes figures que l’auteur définit et illustre [142].
- Les figures de mots (Annexe 2) : l’auteur les aborde au Livre IV, chapitres 19 à 41 (pages 149-181, [1997], Les Belles Lettres.
- Les tropes (Annexe 3) : l’auteur les aborde au Livre IV, chapitres 42 à 46 (pages 181-189, [1997], Les Belles Lettres).
L’auteur sépare l’étude des tropes de celle des figures de mots bien qu’il considère les tropes comme étant des figures de mots.
« Restent dix figures de mots que nous n’avons pas placées au hasard mais que nous avons séparées des précédentes parce qu’elles appartiennent toutes à une même catégorie. En effet le propre de toutes ces figures c’est que le langage s’y écarte du sens habituel des mots et donne à ceux-ci, avec une certaine élégance, un autre emploi. » (Rhétorique à Hérennius, Livre IV, 42, [1997], page 181, Les Belles Lettres)
- Les figures de pensée (Annexe 4) : l’auteur les aborde au Livre IV, chapitres 47 à 69 (pages 190-225, [1997], Les Belles Lettres).
L’ouvrage se clôt sur l’étude des figures de pensée. Certains rhéteurs de sensibilité stoïcienne ont refusé la distinction entre figures de mots et figures de pensée en avançant que toute différence dans les mots entraîne une différence dans le sens et que toute différence dans le sens entraîne une différence dans les mots. Le critère traditionnel donné pour distinguer ces deux types de figures est le suivant : une figure de mots est annulée lorsqu’on change les mots ou leur ordre alors qu’une figure de pensée subsiste même quand on change les mots. Ce critère rend le repérage des figures de pensée très difficile ; c’est pourquoi il existe de grandes variations dans le classement de ces figures [143].
2.3. Cicéron (106-43 av. J.-C.)
Cicéron [144] est un grand avocat mais aussi un homme politique et un grand homme d’État. Il écrit son premier discours, le Pour Quinctius (en 81 av.), à vingt-cinq ans en cherchant à rivaliser avec Hortensius, de huit ans son aîné et déjà célèbre. Il écrit de nombreux traités de rhétorique.
- De l’Invention (vers 86-83 av.) est une œuvre incomplète de jeunesse, purement judiciaire surtout consacrée à l’épichérème ; il reniera cette œuvre par la suite. Cette œuvre ressemble à la Rhétorique à Hérennius et s’inspire d’Hermagoras.
- Cicéron adapte le genre du dialogue pratiqué par les grecs [145] à la littérature latine ; il écrit un dialogue rhétorique, le De L’orateur (en 55 av.). Les deux interlocuteurs, Crassus et Antoine [146], exposent devant des amis leur conception de l’éloquence. Dans cette œuvre en trois volumes, Cicéron moralise la rhétorique et se positionne face à l’enseignement des écoles (il reproche aux rhéteurs de n’enseigner que des règles). Il proteste également contre la séparation de l’éloquence et de la philosophie : alors que pour les rhéteurs l’éloquence n’est que l’art de parler, pour lui elle est surtout l’art de penser. L’orateur parlera bien parce qu’il pensera bien.
- Le Brutus (46 av.) est présenté également sous la forme d’un dialogue ; Cicéron y aborde l’historique de l’art oratoire à Rome. Il centre la rhétorique sur l’orateur :
« ce qu’il y
a de bon ou de mauvais dans un discours, je puis, moi, le discerner,
si j’ai assez de sens critique et de compétence ; mais
ce que vaut l’orateur, cela c’est aux effets produits par sa
parole qu’on pourra s’en rendre compte. Les effets à
obtenir sont, à mon avis du moins, au nombre de trois :
instruire l’auditoire, lui plaire, l’émouvoir vivement. »
(Cicéron, Brutus, XLIX-184/185, [1973], page 64, Les
Belles Lettres)
- Dans L’orateur (en 46 av.), le troisième de ses traités de rhétorique (en forme de dialogue également), Cicéron complète le De L’orateur et dresse le portrait de l’orateur idéal. Selon Cicéron, l’orateur « parfait » doit maîtriser les trois styles, correspondant chacun à un moyen de persuasion [147], et il doit savoir les adapter aux circonstances [148]. Cicéron traite du nombre oratoire dans la seconde partie de l’œuvre ; il expose en détail le rythme oratoire et les clausules métriques, toujours au nom de l’efficacité pratique. Le véritable orateur ne doit songer qu’au but, et si la persuasion demande qu’on séduise l’auditoire alors il faudra qu’il séduise.
- Il propose un cours complet de rhétorique à l’intention de son fils dans les Divisions de l’art oratoire (en 46 av.).
- Les topiques (en 44 av.) renvoient aux Topiques d’Aristote ; Cicéron y expose une version aristotélicienne de la théorie des « lieux ».
La
trilogie De L’orateur [149]
- Brutus - L’orateur [150]
constitue l’essentiel de la réflexion de Cicéron sur
l’art de la parole - art qu’il a pratiqué et sur lequel il
a médité toute sa vie.
2.3.1. La persuasion
Les trois buts
Cicéron distingue trois buts pour l’orateur : (i) docere : l’orateur instruit les juges [151], il les informe des éléments du dossier et argumente ; (ii) delectare : l’orateur cherche à se concilier la bienveillance de l’auditoire, à lui plaire, à le charmer ; (iii) mouere : l’orateur cherche à émouvoir l’auditoire, à le ravir.
Ces trois buts doivent être combinés selon les règles de la convenance et leur accord avec les trois styles : le style de l’orateur doit être précis dans la preuve (la pistis) ; moyen, dans le charme ; véhément quand il s’agit de fléchir. Le charme est propre au genre épidictique tandis que le forum met en jeu les trois buts (même s’il existe une hiérarchie parmi ces buts) et par là les trois styles :
« Donc sera éloquent celui qui au forum et dans les causes civiles parlera de manière à prouver, à charmer, à fléchir. Prouver est la part de la nécessité ; charmer, de l’agrément ; fléchir, de la victoire : c’est en effet cette dernière chose qui de toutes peut le plus pour gagner les causes. » (Cicéron, L’orateur, XXI, 69, [1964], page 25, Les Belles Lettres)
Les genres oratoires
Cicéron reprend la distinction traditionnelle en trois genres oratoires. Le genre judiciaire correspond aux plaidoyers devant les tribunaux - ou les assemblées érigées en tribunaux - et aux procès civils se déroulant au forum.
Le genre délibératif concerne davantage les affaires publiques. L’orateur du genre délibératif doit faire prévaloir un point de vue ou orienter l’opinion devant une assemblée délibérante. Il s’agit de conseiller ou de déconseiller tout en examinant ce qui est possible ou impossible. La délibération peut également se dérouler au sénat devant un conseil de sages ; l’orateur doit alors convaincre par l’autorité et persuader par le discours sans trop user de l’ornement. Une harangue devant le peuple mérite quant à elle davantage d’ornements ; l’orateur donne son avis sur les affaires publiques touchant à des sujets graves (comme la souveraine majesté des peuples, les intérêts de l’État), et il lui est alors nécessaire de s’adresser à l’auditoire avec plus d’élévation et d’éclat, et de l’émouvoir en utilisant les exhortations et la richesse des ornements. Les préceptes établis pour le genre judiciaire concernant l’invention et la disposition valent pour le genre délibératif.
Le genre épidictique ou démonstratif est réservé aux éloges funèbres prononcés par un membre de la famille lors de funérailles aristocratiques. L’orateur utilise l’amplification ; son style est riche en ornements tels que les figures de mots (style moyen). Une forme d’éloge est également utilisée dans les procès lorsque par exemple des amis de l’accusé viennent faire son éloge. À la différence du véritable genre épidictique, cet éloge est bref et sans ornements.
Cicéron sépare l’étude du genre épidictique de celle des deux autres genres dans la mesure où selon lui, ce genre relève plus de l’apparat que de la lutte oratoire. Ce genre est tout entier consacré au plaisir des oreilles, à la délectation de l’auditoire obtenus grâce au raffinement de l’arrangement des mots et grâce à l’abondance des figures de mots :
« C’est de lui que se nourrit l’aisance du vocabulaire, et le groupement des mots et le nombre y jouissent d’une plus grande liberté. On y tolère même l’agencement symétrique des phrases ; on y concède l’arrangement ingénieux des mots dans un circuit déterminé et délimité ; c’est à dessein et non par surprise, mais ouvertement et franchement, qu’on travaille à ce que les mots se répondent en quelque sorte mesurés et égaux, que des termes de sens opposé soient mis en rapport fréquemment, que les contraires s’accouplent, que les fins se terminent de la même façon et rendent dans leur chute le même son. » (Cicéron, L’orateur, XII, 37-38, [1964], page 14, Les Belles Lettres)
Ce genre se distingue ainsi par la richesse de ses effets rythmiques :
« C’est ce que dans la réalité des causes nous faisons plus rarement de beaucoup et en tout cas plus discrètement. » [152] (Cicéron, L’orateur, XII, 38, [1964], page 14, Les Belles Lettres)
Cicéron
considère que ce sont les premiers sophistes (Gorgias,
Thrasymaque de Chalcédoine, Théodore de Byzance) et
ceux que, dans le Phèdre, Socrate appelle les
« ciseleurs de mots », qui ont inventé
le style du genre épidictique [153]
- style qui chez ces premiers sophistes était exagéré,
trop raffiné [154]
et qui depuis a évolué grâce notamment aux
apports d’Isocrate [155].
2.3.2. Les parties de la rhétorique
Selon Cicéron, les divisions de la technique résultent des trois tâches qui s’imposent à l’orateur : quoi dire, dans quel ordre, de quelle façon (L’orateur, XIV, 43, page 16). Les deux premières correspondent à l’invention et à la disposition, la dernière à l’élocution [156]. Cicéron ajoute que l’orateur doit également faire un effort de mémoire [157] et qu’il doit « jouer » son discours par la voix et les gestes [158]. Il accorde un grand rôle à l’action oratoire :
« C’est l’action, oui, l’action, qui, dans l’art oratoire, joue le rôle vraiment prépondérant. Sans elle le plus grand orateur peut ne pas compter ; un orateur médiocre, qui possède ce don, peut souvent l’emporter sur les plus grands. » (Cicéron, De l’orateur Livre III, LVI, 213, [1971], page 88, Les Belles Lettres)
alors que les orateurs l’ont justement délaissée :
« Si
j’insiste, c’est que les orateurs, qui traduisent directement des
sentiments variés, ont abandonné toute cette partie de
l’art, dont se sont emparés les comédiens, qui
imitent, eux, ces sentiments. » (Cicéron, De
l’orateur Livre III, LVII, 214, [1971], page 89, Les Belles
Lettres)
A. L’invention
Il s’agit de trouver ce qu’on dira et de décider de ce qu’on dira (L’orateur, XIV, 44, page 17) ; l’invention fait appel à la connaissance des lieux d’argumentation et des raisonnements, et renvoie à la THÈSE (que, selon l’auteur, Aristote a introduit) : mais c’est affaire de compétence plus que d’éloquence.(L’orateur, XIV, 44, page 17).
Preuve éthique et preuve pathétique
L’ethos est un ethos pré-discursif chez Cicéron ; cet ethos renvoie aux tempéraments, aux mœurs et à toute la conduite de la vie (L’orateur, XXXVII, 128, page 45) alors que, comme on l’a vu, pour Aristote, la preuve éthique est construite par le discours. Cicéron reprend par contre la preuve pathétique telle que l’a définie le Péripatéticien ; elle sert à troubler et exciter les cœurs (L’orateur, XXXVII, 128, page 45). Cicéron hiérarchise ces deux types de preuves : la preuve pathétique l’emporte largement sur la preuve éthique (c’est en elle que triomphe l’éloquence. (L’orateur, XXXVII, 128, page 45)) ; elle est propre au mouere et apparaît surtout dans la péroraison [159] :
« La première est affable, plaisante, propre à nous concilier la bienveillance ; l’autre est violente, enflammée, impétueuse, elle arrache le succès, et quand elle est emportée comme un torrent, il n’y a pas moyen de lui résister. » (Cicéron, L’orateur, XXXVII, 128, [1964], pages 45-46, Les Belles Lettres)
La preuve pathétique permet d’obtenir que le juge s’irrite ; s’apaise ; jalouse ; favorise ; méprise ; admire ; haïsse ; aime ; désire ; se dégoûte ; espère ; craigne ; se réjouisse ou s’afflige. (L’orateur, XXXVIII, 131, page 46). Dans la preuve pathétique l’orateur use avec abondance des ornements aussi bien des métaphores que des ornements qui se tirent de l’arrangement des mots (figures de mots et figures de pensée [160], ces dernières ayant plus d’importance). La preuve pathétique est alors fortement corrélée au style élevé.
L’amplification
Le procédé d’amplification fait le lien entre l’invention et l’élocution : c’est l’art de développer, d’amplifier. Ce procédé est propre à la rhétorique en tant qu’elle a pour objet de convaincre et de persuader. Ainsi les raisonnements de l’invention côtoient le procédé d’amplification qui n’est pas proprement logique (logos) et qui fait appel à la passion (pathos). L’amplification consiste à exagérer délibérément les choses dont on parle ou, dans certains cas, à les rabaisser, en vue d’impressionner l’auditoire. Ce procédé intervient dans la péroraison où il prend la forme de l’indignatio (la prise à partie) et de la miseratio (l’appel à la pitié). Mais l’amplification relève aussi de l’élocution, et plus précisément de l’ornementation ; elle utilise des figures de pensée propres à l’élévation des idées [161].
Selon Cicéron l’amplification sert à atteindre l’élégance :
« Le triomphe de l’éloquence, c’est d’amplifier le sujet par les ornements de la diction, ce qui consiste non seulement à agrandir ou à relever les objets par l’expression, mais à les amoindrir aussi et à les rabaisser. L’amplification est nécessaire, toutes les fois que, pour donner de la créance au discours, on emploie les lieux dont Antoine a parlé, qu’il faille éclaircir un point, se concilier les esprits ou les exciter. Mais c’est dans le dernier point que l’amplification a le plus de pouvoir. C’est la plus grande qualité de l’orateur, celle qui lui est vraiment propre. Elle devient plus éminente encore, s’il exerce dans le genre dont Antoine a donné les règles en terminant, je veux dire l’éloge et le blâme. En effet, pour apprendre à élever et amplifier un discours, rien ne vaut l’habileté consommée à traiter ces deux points. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XXVII, 104-105, [1971], pages 41-42, Les Belles Lettres)
B. La disposition
C’est la manière de traiter les idées (L’orateur, XXXV, 122, page 43) ; Cicéron distingue quatre parties du discours :
« Que reste-t-il en effet maintenant, qui soit du domaine de la technique, sinon d’introduire son discours par un exorde dans lequel on se concilie son auditoire, ou on éveille son attention, ou on le dispose à se laisser instruire ; - d’exposer les faits, brièvement et d’une manière plausible et clairement, pour qu’on puisse comprendre de quoi il s’agit ; - d’étayer sa thèse et de démolir celle de l’adversaire et pour cela de procéder non dans le désordre, mais en donnant à chacun des points de son argumentation la forme d’un raisonnement, de manière que la conclusion résulte logiquement des prémisses qu’on a posées, en vue d’établir chaque point ; - enfin de conclure le tout par une péroraison qui enflamme ou qui éteigne la passion ? » (Cicéron, L’orateur, XXXV, 122, [1964], page 43, Les Belles Lettres)
Selon Cicéron, la méthode à suivre pour présenter les arguments dépend des buts de l’orateur, du sujet traité, et donc du genre oratoire [162]. Dans le genre épidictique, l’orateur adopte un ordre chronologique pour disposer ses arguments mais il peut également faire contraster ses arguments c’est-à-dire mélanger les arguments forts et moins forts. Dans le genre délibératif, l’exorde doit être court ou ne pas être présent, car il n’est pas utile d’attirer l’attention de l’auditoire, celui-ci ayant tout intérêt à écouter. La narration doit être brève car elle porte sur le passé ou le présent alors que les délibérations traitent de l’avenir. Dans le genre judiciaire, l’accusateur doit suivre l’ordre des faits.
C. L’élocution
Selon l’auteur, c’est la partie qui a le plus d’importance et qui requiert le plus de travail et d’art.
« Mais voici qu’il nous faut modeler le type de l’orateur parfait et de l’éloquence suprême. C’est par cette seule chose, c’est-à-dire par le style, qu’il l’emporte, comme l’indique le nom lui-même, et toutes les autres demeurent dans l’ombre. Car on n’a pas appelé inventeur, ni compositeur, ni acteur celui qui les a toutes réunies, mais en grec rhéteur, en latin éloquent, d’après l’élocution. En effet de toutes les autres choses qui se trouvent dans l’orateur chacun peut revendiquer quelque partie ; mais la puissance suprême de la parole, c’est-à-dire l’élocution, n’est concédée qu’à lui seul. » (Cicéron, L’orateur, XIX, 61, [1964], page 22, Les Belles Lettres)
Les qualités du style
Cicéron énonce quatre qualités : correction, clarté, élégance, et convenance.
« En quoi consiste le meilleur mode d’élocution, sinon dans la bonne latinité, la clarté, le brillant, enfin la convenance et l’accord du style avec le sujet, quel qu’il soit ? » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, X, 37, [1971], page 16, Les Belles Lettres)
Il ne traite pas des deux premières qualités qu’il est facile d’acquérir, indispensable de posséder. [163] (De l’orateur, Livre III, X, 38, page 16). L’acquisition de ces deux qualités doit se faire chez le grammairien [164] et non chez le rhéteur [165] :
« Des deux
qualités que j’ai nommées les premières,
pureté et clarté de la forme, vous n’attendez pas, je
pense, que je vous apporte les règles. On ne songe pas à
apprendre à parler en public à un homme qui ne saurait
pas s’exprimer, ni à espérer que celui qui ne parle
pas un latin correct prononce jamais un discours brillant, ni qu’il
réussisse à se faire admirer, lorsqu’il ne sait même
pas se faire comprendre. » (Cicéron, De
l’orateur, Livre III, X, 38, [1971], page 16, Les Belles
Lettres)
Il précise tout de même les moyens de s’exprimer avec clarté :
« Il est évident qu’ils consistent à parler un latin pur, avec des mots usités et qui expriment d’une façon précise ce qu’on veut énoncer et mettre en lumière, à ne pas employer des périodes trop longues, à ne pas prolonger les métaphores empruntées à la comparaison d’autres objets, à ne pas violer les rapports de temps, à ne pas confondre les personnes, à ne pas embrouiller le plan. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XIII, 49, [1971], page 20, Les Belles Lettres)
Les deux autres qualités [166] sont celles qui permettent à l’orateur de se faire remarquer - à condition que l’élégance convienne au sujet :
« Quel est donc l’homme qui fait frissonner une assemblée ? qui, lorsqu’il parle, retient sur lui tous les regards interdits ? qui arrache des cris d’admiration ? qui semble presque un dieu parmi les mortels ? Celui dont le style a de la variété, de la netteté, de l’ampleur, qui sait mettre en lumière des pensées et des mots, et qui, s’exprimant en prose, crée comme une sorte de rythme et de cadence poétique ; bref ce que j’entends par brillant. Qu’il sache d’ailleurs régler cette élocution d’après les considérations de circonstances et de personnes, il méritera d’être loué pour ce genre de mérite, que j’appelle de justesse et de convenance. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XIV, 53, [1971], pages 21-22, Les Belles Lettres)
Les trois styles
Selon Cicéron il y a autant d’orateurs que de styles : les uns veulent paraître graves, les autres ténus, les autres intermédiaires (L’orateur, XVII, 53, page 19) mais l’orateur idéal sait combiner les trois. Cicéron ne s’étend pas trop sur les différents styles dans son De l’orateur ; comme l’auteur de la Rhétorique à Hérennius, il considère qu’il n’y a qu’une différence de degrés entre les trois styles [167].
« Le style peut avoir quelque embonpoint, tout en restant bien proportionné, ou bien quelque maigreur, mais sans manquer de nerfs et de muscles, ou bien enfin participer des deux autres genres, tout en se tenant en quelque sorte dans un juste milieu, ce qui fait son mérite. Chacun de ces trois styles doit avoir comme un teint brillant, où l’application du fard n’entre pour rien, mais que le sang a partout répandu. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, LII, 199, [1971], page 82, Les Belles Lettres)
Dans L’orateur, Cicéron définit les trois styles [168]. Le style simple n’est pas assujetti au rythme, il est précis et mérite d’être qualifié d’attique [169] :
« Qu’il y ait un certain abandon qui ne soit pourtant pas du laisser-aller, de façon qu’il semble avancer librement mais non se perdre capricieusement. Qu’il néglige même d’agencer en quelque sorte les mots aux mots. Car l’espèce d’hiatus résultant de la rencontre des voyelles a quelque chose de souple et qui indique la négligence qui ne déplaît point d’un homme préoccupé des choses plus que des mots. » (Cicéron, L’orateur, XXIII, 77, [1964], page 28, Les Belles Lettres)
Ce style doit posséder trois des quatre qualités énoncées : correction, clarté et convenance.
« Il ne
manquera qu’une chose, la quatrième de l’énumération
de Théophraste dans les mérites du style :
l’ornementation suave et abondante. » (Cicéron,
L’orateur, XXIV, 79, [1964], page 28, Les Belles Lettres)
Cicéron définit ensuite le genre moyen :
« À celui-ci conviennent tous les ornements de la parole et c’est dans ce type de style qu’il y a le plus de charme. » (Cicéron, L’orateur, XXVII, 92, [1964], page 32, Les Belles Lettres)
Vient
ensuite le grand style, celui qu’utilise l’orateur majestueux,
abondant, grave, orné, dans lequel à coup sûr se
trouve la plus grande puissance. [170]
(L’orateur, XXVIII, 97, p. 33). Ce style doit remuer
les cœurs, les émouvoir de toutes les façons
(L’orateur, XXVIII, 97, p. 34).
Cicéron indique que le style doit être adapté au sujet mais aussi au genre oratoire (la convenance) :
« Il est d’ailleurs bien évident que le même style ne sied pas à toutes les causes, à tous les auditeurs, à tous les orateurs, à toutes les circonstances. Un procès où il y va de la vie demande vraiment un autre ton qu’une cause civile de peu de conséquence, et les discours politiques, les panégyriques, les plaidoyers ne veulent pas le même style, non plus que les passages familiers ou soutenus, l’invective, l’exposé théorique, l’anecdote. Autres considérations importantes : les auditeurs, que sont-ils, le sénat, le peuple, des juges, une foule nombreuse, un petit groupe, une seule personne, et qui sont-ils ? Les orateurs mêmes doivent prendre en considération leur âge, leur rang, leur prestige personnel. Pour les circonstances, est-on en paix ou en guerre ? La décision est-elle urgente ou peut-elle attendre ? Aussi la seule règle, je crois, à donner ici est de choisir, parmi les genres d’éloquence, l’un plus ample, l’autre plus simple, le troisième tempéré, celui qui convient le mieux au sujet. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, LV, 210-211, [1971], page 88, Les Belles Lettres)
Il prend pour modèle Démosthène :
« il n’y a personne qui ait montré plus de poids que lui, ni plus de finesse, ni un meilleur équilibre. » (Cicéron, L’orateur, VI, 23, [1964], page 8, Les Belles Lettres)
Les ornements
Cicéron, par la bouche de Crassus, traite des mots considérés isolément et de l’arrangement des mots dans la phrase :
« Eh bien ! tout discours est composé de mots ; il nous faut voir comment on doit les employer, d’abord isolément, puis groupés, car il y a un ornement du style qui se trouve dans les mots pris isolément, un autre qui naît de leur arrangement et de leur groupement dans une phrase. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XXXVII, 149, [1971], pages 58-59, Les Belles Lettres
Les
mots considérés isolément. — Pour
éviter les mots courants, l’orateur peut utiliser (i) des
« mots inusités » qui sont en
général des termes archaïques, vieillis, et par
cela même, depuis longtemps sortis de l’usage habituel [171]
et qui, placés à propos, semblent souvent
communiquer au style un air de grandeur et d’antiquité
(De l’orateur, Livre III, XXXVIII, 153, page 60) ; (ii)
des « mots nouveaux » : ceux que
crée et fabrique l’orateur lui-même, ou bien qui sont
formés par la réunion de plusieurs mots (De
l’orateur, Livre III, XXXVIII, 154, page 60) ; (iii) ou
encore des « mots pris métaphoriquement »
qui sont des espèces d’emprunts, grâce
auxquels nous prenons ailleurs ce qui nous manque (De
l’orateur, Livre III, XXXVIII, 155, page 61).
Cicéron traite des tropes dans les mots pris isolément [172] dans la mesure où ils sont pris métaphoriquement. L’utilisation des métaphores doit se faire avec goût nous dit l’auteur ; la comparaison ne doit pas être cherchée trop loin ; Puis, comme le principal mérite des métaphores est peut-être que l’objet d’où est tirée la métaphore touche les sens, il faut éviter tout objet bas, vers lequel la comparaison porterait l’esprit de nos auditeurs (De l’orateur, Livre III, XLI, 163, pages 64-65). Il recommande l’utilisation d’enclosures :
« Craignez-vous que la métaphore ne paraisse un peu forcée, on peut souvent l’atténuer en la faisant précéder d’un mot. Par exemple, si l’on avait dit autrefois que la mort de Caton laissait le Sénat “orphelin”, la métaphore aurait été un peu forcée ; au contraire, “pour ainsi dire orphelin” la rendrait un peu moins dure. Il faut en effet que la métaphore soit discrète ; elle doit sembler avoir été amenée en cette place qui ne lui appartient pas et non y avoir fait irruption, être venue non par force, mais sur demande. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLI, 165, [1971], page 65, Les Belles Lettres)
L’arrangement
des mots dans la phrase . — Cicéron
aborde ensuite l’art de grouper les mots qui comprend
avant tout deux éléments : l’arrangement,
puis en quelque sorte le rythme et le tour harmonieux de la
phrase (De l’orateur, Livre III, XLIII, 171, page
69).
- L’arrangement : « L’arrangement consiste à disposer et à construire les mots, de telle façon qu’ils se joignent sans heurt ni solution de continuité, et même, si j’ose dire, en un assemblage étroit et bien poli. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLIII, 171, [1971], page 69, Les Belles Lettres).
- Le rythme : « Après ce travail minutieux, vient encore le rythme et le tour harmonieux de la phrase, dont je crains bien, Catulus, qu’ils ne te semblent puérils. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLIV, 173, [1971], page 70, Les Belles Lettres).
Le rythme est quelque chose d’analogue aux vers, c’est-à-dire une sorte de nombre (De l’orateur, Livre III, XLIV, 173, page 70). Ce nombre sera obtenu ou par l’emploi de certains mots qui offrent par eux-mêmes une symétrie [173] (L’orateur, XLIX, 164, page 62) - il s’agit des figures de mots [174] -, ou par un style nombreux et lié [175] (L’orateur, L, 168, page 64), qui correspond à l’utilisation de combinaisons métriques que Cicéron nomme clausules rythmiques [176].
Le
rythme est, selon l’auteur, une invention des poètes-musiciens
qui jadis, pour plaire à leur public, ont introduit le vers et
le chant ; ces poètes-musiciens pensèrent
devoir les faire passer de la poésie à l’éloquence,
dans toute la mesure où le discours, œuvre sérieuse,
pouvait le permettre. (De l’orateur, Livre III, XLIV,
174, pages 70-71).
Mais cette prose nombreuse doit tout de même se distinguer de la poésie [177] :
« la prose ne
doit ni être asservie au nombre, comme la poésie, ni en
dehors du nombre, comme le langage vulgaire : l’un en effet
est trop lié et paraît artificiel, l’autre trop
relâché et a l’air commun et vulgaire, de sorte que le
premier ne charme plus, le second est détestable. »
(Cicéron, L’orateur, LVII, 195, [1964], page 75, Les
Belles Lettres)
Alors que le nombre en poésie est fixe [178] celui de la prose est fait de rythmes moins réguliers (De l’orateur, Livre III, XLV, 177, page 71) :
« J’estime, en effet, avec Théophraste, que la prose, du moins la prose soignée, et, si j’ose dire, travaillée, doit être soumise à un rythme, non pas rigoureux, mais assez libre. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLVIII, 184, [1971], page 76, Les Belles Lettres)
Le véritable orateur devra savoir utiliser cette prose nombreuse, si difficile à maîtriser :
« entre
beaucoup de traits, celui qui distingue essentiellement le véritable
orateur de l’homme qui n’a pas la pratique de la parole et n’en
connaît pas les règles, c’est que l’ignorant débite
sans art le plus de paroles qu’il peut et mesure les phrases sur sa
respiration, non sur les principes ; au contraire le véritable
orateur enferme la pensée dans une armature de mots qui
l’embrassent en un circuit d’un rythme à la fois fixe et
libre. » (Cicéron, De l’orateur, Livre
III, XLIV, 175, [1971], page 71, Les Belles Lettres)
Cicéron consacre un long développement à l’étude du nombre oratoire et en particulier aux clausules rythmiques, qui signalent des délimitations [179].
La prose nombreuse
L’origine. — L’auteur indique que le principe des clausules rythmiques provient des contraintes de la respiration :
« Les fins de phrase et les ponctuations à l’intérieur de la phrase ont en effet dû leur naissance au besoin de reprendre haleine et à la courte durée de la respiration. De cette découverte résulte un si grand charme que, s’il se rencontrait un orateur possédant une respiration infatigable, nous ne voudrions tout de même pas qu’il prononçât tout son discours sans s’arrêter. Si cette découverte a été agréable à nos oreilles, c’est que, pour nos poumons, l’application en était possible, facile même. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLVI, 181, [1971], page 74, Les Belles Lettres)
Les vers. — Cicéron conçoit les vers comme des faits naturels [180] ayant donné lieu à la technique de la métrique. Les différents nombres en poésie sont limités à l’utilisation de trois types de pieds - genre égal comme le dactyle, genre double comme l’iambe, genre sesquialtère comme le péon. Ces pieds se retrouvent en prose - du fait de la quantité vocalique en latin [181] - et leur mise dans un certain ordre fournit nécessairement un nombre qui ne doit pas être un vers [182] ; c’est pourquoi ce nombre ne doit être perçu qu’en début et fin de phrase :
« En règle générale, le nombre se déroule dès le début de la phrase tantôt rapide par la brièveté des pieds, tantôt lent par leur longueur. Les passages tendus réclament davantage la rapidité, l’exposition des faits, la lenteur. D’autre part il y a plusieurs manières d’arrêter la période entre lesquelles les Asiatiques en ont surtout suivi une, qu’on appelle dichorée, les deux derniers pieds étant des chorées, soit chacun une longue et une brève. » [183] (Cicéron, L’orateur, LXIII, 212, [1964], page 81, Les Belles Lettres)
L’important, selon l’auteur, est d’éviter la monotonie [184] ; pour cela, il s’agit de soigner les débuts et fin de période :
« c’est surtout aux pauses que l’on remarque la monotonie. Si l’on a pris le soin d’observer cette règle dans les premiers et les derniers pieds, ceux du milieu peuvent passer inaperçus, à condition que ce circuit de mots ne soit pas plus court que l’oreille ne s’y attend ou plus long que les poumons et le souffle ne le permettent. » (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLIX, 191, [1971], page 79, Les Belles Lettres)
La clausule jouit alors d’une importance considérable :
« Une autre
raison me fait demander plus de soin pour les clausules que pour le
reste ; c’est là qu’on juge le mieux si la phrase est
complète et bien faite. Dans un vers, on fait attention au
commencement, aussi bien qu’au milieu et à la fin, et il est
estropié, quelle que soit la partie où il fait un faux
pas. Au contraire, en prose, peu d’auditeurs sont frappés
par le commencement, mais le plus grand nombre par la fin. Puisque
cette partie est en lumière et qu’on la remarque, il faut en
varier le rythme, pour éviter qu’elle ne soit rebutée
par le jugement de l’esprit ou la satiété de
l’oreille. » (Cicéron, De l’orateur,
Livre III, L, 192, [1971], page 79, Les Belles Lettres)
Prose nombreuse et genres oratoires. — Selon Cicéron, le style nombreux et lié, obtenu à l’aide des clausules rythmiques, est propre au genre épidictique et a pour modèle Isocrate.
« C’est pourquoi depuis qu’est née cette circumscriptio ou comprehensioou continuatio ou ambitus, si l’on peut s’exprimer ainsi, aucun orateur qui compte n’a écrit de discours de ce genre fait pour l’agrément et éloigné des tribunaux et des luttes du forum sans carrer presque toutes ses phrases et les ramener au nombre. » (Cicéron, L’orateur, LXI, 208, [1964], page 80, Les Belles Lettres)
Cicéron indique que ce style est tout de même admis au forum, dans certaines conditions : lorsque l’orateur doit réaliser un éloge particulièrement orné(L’orateur, LXII, 210, page 89), ou lorsqu’il doit présenter une narration qui demande plus de dignité que de pathétique (ibid.), ou encore lorsqu’il utilise l’amplification (dans la péroraison) où tout le monde admet que la phrase s’étale, nombreuse et volubile. (ibidem).
Cicéron considère que dans les causes réelles, l’orateur doit parler par membres [185] et par incises – incises, dont il faut faire comme autant de coups de poignard (L’orateur, LXVII, 224, page 86) :
« le discours traité en incises et membres a le plus de force dans les causes réelles surtout dans les passages où on accuse ou réfute » (Cicéron, L’orateur, LXVII, 225, [1964], pages 86-87, Les Belles Lettres)
Pour Cicéron, l’utilisation du nombre est justifiée lorsqu’elle sert la pensée et qu’elle l’enserre :
« Mais la chose est mal vue quand on dit que dans un discours judiciaire ou politique, il y a du nombre : il semble en effet qu’on abuse des sortilèges pour surprendre l’oreille si en prose aussi l’orateur recherche les nombres. C’est sur quoi se fondent nos détracteurs [186] pour parler eux-mêmes en phrases brisées et écourtées et blâmer ceux dont le style est cohérent et de contours arrêtés : si c’est avec des mots creux et des pensées futiles, ils ont raison ; mais si les idées sont correctes, le vocabulaire choisi, pourquoi aiment-ils mieux que la phrase boite ou tourne court plutôt que de courir du même pas que l’idée ? En effet ce nombre détesté n’apporte rien d’autre que d’emboîter exactement la pensée dans les mots. Les anciens le font aussi, mais la plupart du temps par hasard, souvent d’instinct ; et les choses qu’on loue fort chez eux c’est généralement parce qu’elles aboutissent à un rythme. » (Cicéron, L’orateur, LI, 170, [1964], page 65, Les Belles Lettres)
Le jugement de l’oreille. — Cicéron précise que le nombre oratoire est un procédé naturel qui repose sur les sensations et que des personnes ignorantes sont à même de juger :
« Ne nous étonnons d’ailleurs pas que le vulgaire sans culture remarque, en écoutant, le nombre oratoire. C’est que, pour tout ordre de perception, mais particulièrement ici intervient je ne sais quel instinct puissant et extraordinaire. […] Aussi tout le monde est-il sensible non seulement à l’habile arrangement des mots, mais encore à l’harmonie des rythmes et des sons.» (Cicéron, De l’orateur, Livre III, L, 195-196, [1971], page 80, Les Belles Lettres)
Il met ainsi au principe du nombre, le jugement de l’oreille [187] : juger des idées et des mots est affaire de métier tandis que des sons et des nombres les oreilles sont juges (L’orateur, XLIX, 162, page 61).
« L’oreille en effet, ou l’esprit renseigné par l’oreille, renferme en lui une certaine mesure naturelle de tous les sons. C’est pourquoi il juge de ce qui est trop long et de ce qui est trop bref et attend toujours quelque chose d’achevé et de mesuré ; il sent que certaines phrases sont mutilées et comme tronquées, et elles le choquent comme si on lui refusait son dû ; que d’autres sont prolongées et comme s’étalant d’une manière démesurée, ce que l’oreille réprouve davantage : car dans la plupart des cas, mais surtout en cette matière, le trop choque plus fortement que le trop peu. Ainsi donc que la poétique et le vers ont été inventés grâce à la délimitation fournie par l’oreille et l’observation des gens de métier, de même en prose on a remarqué, beaucoup plus tard sans doute, mais selon la même indication de la nature, que les suites de mots et la façon d’en marquer les limites obéissent à certaines lois. » (Cicéron, L’orateur, LIII, 177-178, [1964], page 69, Les Belles Lettres)
Nécessité du travail écrit. — Cicéron précise que les clausules sont issues d’un travail écrit [188] :
« Eh bien ! dit Crassus, nous arriverons à appliquer ces règles, et, par là, à donner à notre phrase un tour parfait, grâce à l’exercice de la parole et à l’habitude d’écrire, qui orne et polit comme à la lime cette partie autant et plus que les autres.» (Cicéron, De l’orateur, Livre III, XLIX, 190, [1971], page 78, Les Belles Lettres)
Nous
présentons, en annexe, dans des tableaux les différentes
figures abordées par Cicéron dans son
L’orateuret dans son De L’orateur, Livre III.
[Tropes (Annexe 5) ; Figures de pensée (Annexe 6) ;
Figures de mots (Annexe 7)].
De jeunes orateurs rivaux - surtout Caius Asinius Pollion [189] - reprochent à Cicéron son goût pour l’abondance et les recherches rythmiques, caractéristiques selon eux de l’Asianisme [190]. Ces jeunes orateurs se considèrent comme de purs « attiques » et prétendent revenir au style pur, et simple des orateurs Grecs des Ve et IVe siècles av. J.-C. - à Lysias tout particulièrement mais aussi à Thucydide.
Or selon Cicéron, à écouter les règles du style attique qu’énoncent ses partisans, ni Démosthène ni Eschine ne sont de purs attiques.
« nous devons
avertir ceux dont le propos inconsidéré s’est
répandu, et qui désirent qu’on les dise Attiques, ou
qui prétendent parler eux-mêmes en Attiques, d’admirer
d’abord Démosthène, plus attique à mon sens
qu’Athènes elle-même : qu’ils apprennent à
connaître ce qui est attique et mesurent l’éloquence
d’après son génie et non à leur propre
faiblesse. » (Cicéron, L’orateur, VII, 23,
[1964], pages 8-9, Les Belles Lettres)
Cicéron retourne ainsi la critique contre ses accusateurs et déduit de la pauvreté de leur style leur incompétence à produire un discours dans un style nombreux et lié.
« Mais ceux qui ont parlé autrement c’est qu’ils n’étaient pas capables d’y arriver. C’est ainsi que soudainement ils sont devenus Attiques » (Cicéron, L’orateur, LXX, 234, [1964], page 91, Les Belles Lettres)
Cicéron
signale également qu’il s’agit avant tout de ne pas perdre
de vue la fin visée par le discours, à savoir la
persuasion [191] ;
pour être persuasif, l’orateur doit trouver un juste milieu
entre le manque et l’excès [192].
2.4. Évolution
Lorsque la République est menacée à la fin du Ier siècle av. J-C., la littérature se trouve liée à la politique ; les hommes politiques la pratiquent et sollicitent les écrivains.
- Caius Asinius Pollion (76 av.-5 ap. J-C.), gouverneur de la Gaule Cisalpine (en 43 av.), devenu consul en 40 av., se fait protecteur de Virgile [193] et l’encourage à écrire les Bucoliques - Virgile lui dédie sa quatrième Bucolique. Reprenant le projet de César [194], il crée à Rome la première bibliothèque publique [195], puis, plus tard invente les lectures publiques [196] (les recitationes).
- Autre exemple, Caius Cilnius Maecenas (Mécène) [197] (vers 69-8 av. J.-C.), l’un des plus proches collaborateurs de César Octavien, devient le protecteur de Virgile [198] et d’Horace – c’est Virgile qui présente Horace à Mécène en 39 av.
NOTES
89 Époque qui commence à la mort d’Alexandre en 323 av. et qui s’étend jusqu’à la domination de Rome sur l’Égypte, domination qui marque le début de l’Empire romain (en 31 av. J.-C.).
90 À la mort d’Alexandre, en 323 av., ses lieutenants poursuivent sa politique et créent les royaumes hellénistiques.
91 C’est un élève de Théophraste.
92 Les souverains attirent à leur cour écrivains, savants, artistes, et philosophes.
93 Ménandre, élève de Théophraste et célèbre auteur de comédies, refuse de quitter Athènes alors que Ptolémée Lagos l’invite à Alexandrie.
94 Une nouvelle forme de poésie, subtile et érudite, se développe à la cour des Ptolémées. Les nouveaux poètes alexandrins remanient les genres poétiques de la tradition ; leurs principaux représentants sont Philétas de Cos, Lycophron, Théocrite, Callimaque, Hérondas et Apollonios de Rhodes (directeur de la bibliothèque d’Alexandrie).
95 Proclamé roi d’Egypte en 306 av., et fondateur de la dynastie des Lagides.
96 On citera Zénodote d’Éphèse, Aristophane de Byzance et Aristarque de Samothrace.
97 Philologie et grammaire tendent à se confondre.
98 La grammaire apparaît tardivement (vers le Ier siècle av. J.-C.) sous forme d’analyse spécifique. Denys le Thrace (170-90 av. J.-C.) est l’auteur d’un traité intitulé Système grammatical dont l’influence sera durable en Grèce et à Rome. Plus tard Apollonios Dyscole (IIe siècle ap. J.-C.), grammairien grec à Alexandrie (dont quatre traités ont été conservés : Le pronom, La conjonction, L’adverbe, Syntaxe) fera preuve d’originalité en élaborant une syntaxe.
99 Il ne reste que des titres et des fragments, excepté le traité les Caractères qui ne semble pas avoir été conçu d’un point de vue rhétorique.
100 Ce traité aura une influence très forte sur la réflexion rhétorique ultérieure.
101 Le style moyen est selon lui « le bon style » car il est un juste milieu entre le manque et l’excès de figures.
102 La rhétorique rejoint alors la dialectique.
103 Il n’est pas certain qu’il soit l’auteur véritable du Peri Hermèneias(Sur l’expression), traité qu’on a voulu lui attribuer. Ce traité est sans doute l’œuvre de Démétrius, auteur Grec du Ier siècle av. J.-C. ; cf. sur cette attribution l’introduction de Pierre Chiron dans l’édition de Budé.
104 L’auteur supposé du Traité du Sublime.
105 Comprenant suasoires et controverses. La suasoire est réservée aux débutants, elle prépare au genre délibératif. La controverse demande plus d’argumentation et s’articule selon des schémas propres à chaque état de cause ; elle prépare au genre judiciaire.
106 Ces exercices semblent être une pratique courante à Rome dès l’introduction de la rhétorique ; Quintilien y fait référence et les expose.
107 Ce qui explique que les discours produits se ressemblent énormément.
108 Il reste des fragments des Progymnasmata du rhéteur athénien Sopatros (deuxième moitié du IVe siècle ap. J.-C.).
109 Il semblerait qu’il y ait deux Hermogène : le premier (IIe siècle ap. J.-C.), auteur des États de cause et des Catégories stylistiques, le second, plus tardif, auteur de traités plus « scolaires ».
110 Pour une présentation détaillée de ces exercices, cf. notamment F. Desbordes, 1996, La rhétorique antique, pp. 133 à 135 ; et M. Patillon, introduction à L’art Rhétorique d’Hermogène, pp. 40-56.
111 Il semblerait qu’une répartition des exercices se soit progressivement instituée, les grammairiens s’emparant des exercices préliminaires, les rhéteurs se consacrant à l’exercice-roi, la déclamation.
112 Il est supposé appartenir à l’école des Rhodiens bien qu’il ne vienne pas de Rhodes mais de Temnos en Mysie.
113 Par exemple, l’auteur de la Rhétorique à Hérennius ; Cicéron, qui souligne dans son De L’Invention (I, 22) qu’il doit beaucoup à ce rhéteur grec ; Hermogène (États de cause) ; plus tard, Augustin (354-430 ap. J.-C.) dans son traité de rhétorique (Principia rhetorices).
114 Beaucoup d’auteurs estiment qu’il existait probablement deux autres parties : la mémorisation, et l’action oratoire.
115 Il ajoute des parties au discours : la division, la réfutation et la digression ; il est très attentif à la narration.
116 Il est bref en ce qui concerne les figures.
117 Cette doctrine était déjà présente chez Aristote et chez les premiers sophistes comme Antiphon mais c’est Hermagoras qui la systématise et la détaille.
118 Sa théorie des « états de cause » est aujourd’hui perdue.
119 On citera parmi eux, Carnéade, un des successeurs de Platon à la tête de l’Académie.
120 Ce déclin a lieu du temps de Cicéron même si pour Cicéron, ce qu’il appelle « l’âge d’or de la République » correspond à l’époque des hommes qu’il admire le plus, à savoir, Caton l’Ancien, Scipien Emilien et Laelius.
121 Cicéron dira qu’il ne manque à son éloquence que les arrangements du style, la concinnitas.
122 Ils sont pourtant tous deux membres de la famille des Scipions.
123 Un parti populaire va se former et va reprendre leurs revendications (réformes sociales).
124 « Chez Caius Gracchus, que tu as connu mieux que moi, Catulus, qu’y avait-il de remarquable dans ce passage si vanté lorsque j’étais enfant : “Malheureux ! où aller ? où me réfugier ? Au Capitole ? Mais le sang de mon frère l’inonde. Chez moi ? Pour y voir une malheureuse mère plongée dans les larmes et le deuil”. Ces paroles, assurent tous les témoignages, il les prononçait avec une telle expression des yeux, de la voix, du geste, que ses adversaires mêmes ne pouvaient retenir leurs larmes. » (Cicéron, De l’orateur III, LVI, 214, [1971], page 89, Les Belles Lettres).
125 L. Licinius Crassus.
126 Toutes les traductions citées proviennent de l’édition de 1997, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c’est pourquoi, dans les notes, les citations intégrées au texte et les tableaux (en annexe), nous ne répétons pas tous les éléments de référence.
127 Romains de modeste origine, pour la plupart des chevaliers.
128 Plusieurs hypothèses ont été avancées pour établir la paternité de cet ouvrage ; elle a d’abord été attribuée à Cicéron par Saint-Jérôme (dans deux de ses oeuvres Apologia aduersus libros Rufini (402 ap. J.-C.) et Commentarii in Abdiam (dans le prologue, 403 ap. J.-C.)), par Rufin d’Antioche (V / VIe siècle ap. J.-C.) et par Priscien également (VIe siècle ap. J.-C.) mais au XVe siècle les auteurs commencent à douter de la paternité de Cicéron et différents arguments sont avancés pour confirmer ces doutes. En 1553, P. Victorinus attribue l’œuvre à Cornificius (auteur qui a vraisemblablement écrit des traités et qui est cité par Quintilien comme auteur d’une Ars) mais ni l’un ni l’autre ne semblent être les véritables auteurs de ce manuel ; selon Guy Achard (dans l’introduction de la Rhétorique à Hérennius, 1997, Les Belles-Lettres) ce serait plutôt l’œuvre d’un jeune sénateur romain, élève de Plotius Gallus (Ier siècle av. J.-C.), destinée à un parent : Hérennius.
129 Définition de la rhétorique, définition des tâches de l’orateur, conseils de modération pour l’utilisation des figures.
130 Nombreuses sont les références à la vie politique et au traitement des populares avant 86 av.
131 Elle l’est également par la place accordée à l’action oratoire sur laquelle Athénée a fourni des préceptes.
132 L’exercitatio.
133 Les genres diffèrent selon les genres de causes.
134 Il précise qu’une autre disposition existe, celle qui s’écarte de l’ordre fixé par les règles de l’art et qui « est laissée au jugement de l’orateur qui l’adapte aux circonstances. » (Livre III, 17, page 102).
135 L’auteur précise que dans l’exorde « il faut veiller à employer un style tempéré et des mots courants de façon que le discours ne semble pas préparé. » (Livre I, 11, page 11).
136 Selon l’auteur, il y a un art de la mémoire.
137 Le livre IV est tout entier consacré à l’étude de l’expression.
138 L’auteur parle de style « boursouflé ». « En effet de même que l’embonpoint a souvent l’apparence de la bonne santé, de même les ignorants prennent souvent un discours emphatique et boursouflé pour un discours de style élevé » (Livre IV, 15, pages 143-144).
139 « Elle s’obtient de deux manières : par l’usage de termes courants et de termes appropriés. Les termes courants sont ceux qu’on emploie habituellement dans la conversation et le langage de tous les jours : les termes propres sont ceux qui s’appliquent ou peuvent s’appliquer au sujet dont nous parlons. » (Livre IV, 17, pages 146-147).
140 « Il y a solécisme quand dans un groupe de mots, un terme ne s’accorde pas avec celui après lequel il vient. Il y a barbarisme quand un mot est incorrect. » (Livre IV, 17, page 146).
141 Il propose également une longue liste de figures.
142 L’auteur invente lui-même la plupart des exemples qu’il donne - à la différence des Grecs qui « soutiennent qu’il faut emprunter les exemples à autrui » c’est-à-dire aux orateurs ou aux poètes (Livre IV, 7, page 133).
143 Cicéron par exemple, classe dans cette catégorie à peu près tous les éléments « brillants » du style ; Caecilius de Calé Acté (Ier siècle av. J.-C.) semble restreindre la catégorie des figures de pensée aux tournures qui transgressent ce qui serait dit « normalement » - son traité sur les figures est perdu mais il semble avoir eu une grande influence -enfin Longinus (Cassius) (200-273 ap. J.-C.) - à ne pas confondre avec l’auteur du Traité du sublime - considère que cette catégorie n’a pas lieu d’exister car tous ces éléments relèvent de l’invention.
144 Marcus Tullius Cicero.
145 Son modèle est Platon.
146 L. Licinius Crassus et Marcus Antonius, hommes politiques et célèbres orateurs de leur temps (IIe – début Ier siècle av. J.-C.).
147 Le style simple sert à démontrer ; le style moyen, à plaire ; le style élevé, à émouvoir.
148 « Celui-là donc sera éloquent qui sera capable d’adapter son langage à ce qui conviendra à chaque cas. » (Cicéron, L’orateur, XXXVI,123, [1964], page 44, Les Belles Lettres).
149 Toutes les traductions citées du De l’orateur proviennent de l’édition de 1971, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c’est pourquoi, dans les notes, les citations intégrées au texte et les tableaux (en annexe), nous ne répétons pas tous les éléments de référence.
150 Toutes les traductions citées de L’orateur proviennent de l’édition de 1964, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c’est pourquoi, dans les notes, les citations intégrées au texte et les tableaux (en annexe), nous ne répétons pas tous les éléments de référence.
151 Au sens judiciaire du mot « instruction ».
152 « Mais dans son Panathénaïque Isocrate avoue qu’il a recherché ces effets avec soin : c’est qu’il n’avait pas écrit pour le combat judiciaire, mais pour le plaisir des oreilles. » (L’orateur, XII, 38, page 14).
153 Le genre épidictique sert de « berceau à l’éloquence » (L’orateur, XI, 37, page 14).
154 Cicéron parle même de « niaiseries » pour qualifier ces excès de raffinements (L’orateur, XII, 39, page 15).
155 Nous y reviendrons dans la partie consacrée à l’élocution.
156 Nous consacrons un long développement à cette partie. Cf. infra, C. L’élocution
157 Cicéron ne traite pas de la mémoire car elle est « commune à beaucoup d’arts » (L’orateur, XVI, 54, page 20).
158 Dans son De l’orateur, Cicéron envisage les différents tons (au Livre III, LVII-LVIII, 214-219), le geste (au Livre III, LIX, 220), la physionomie (au Livre III, LIX, 221-223), et la voix (au Livre III, LX-LXI, 224-227).
159 Crassus apparaît comme un spécialiste de la preuve pathétique : « Que dirai-je des appels à la pitié ? Je m’en suis d’autant plus servi que, même si nous étions plusieurs à parler, tous me laissaient cependant la péroraison, où je devais ma réputation d’exceller non à mon talent, mais au sentiment que j’y mettais. » (L’orateur, XXXVII, 130, page 46).
160 Cicéron présente en quoi tient la différence entre figures de mots et figures de pensée : « Mais, entre les figures de mots et celles de pensées, il y a cette différence, que les premières disparaissent, si l’on change les mots, et que les autres subsistent toujours quels que soient les mots que l’on se décide à employer. » (De l’orateur, Livre III, LII, 201, page 83).
161 Il s’agit de : l’insistance, l’atténuation, la digression, l’interrogation, la répétition, l’ironie, l’hésitation, la prétérition, la précaution oratoire, la prosopopée, la diversion, l’anticipation, l’exemple, la supplication, etc.
162 « De quelle manière notre orateur doit traiter chacune de ces parties est difficile à dire ici, car elles ne se traitent pas toujours de la même façon. » (L’orateur, XXXV, 123, page 43).
163 « Les autres [points] sont importants, compliqués, variés, difficiles, et là se fait vraiment admirer le génie, vraiment triomphe l’éloquence. » (De l’orateur, Livre III, XIV, 52, page 21).
164 « La première se prend avec l’instruction élémentaire du jeune âge ; l’autre, qui a pour objet d’énoncer toujours des choses intelligibles, est d’une nécessité absolue, mais c’est le moins qu’on puisse exiger. » (De l’orateur, Livre III, X, 39, page 16).
165 « On n’a jamais admiré un orateur, parce que son langage était du latin correct. S’il manque à ce devoir, on se moque de lui ; on ne le regarde pas comme un orateur, ni même comme un homme. On n’a jamais comblé d’éloges celui qui savait parler de manière à être compris de son auditoire ; mais on méprise celui qui n’y peut réussir. » (De l’orateur, Livre III, XIV, 52, page 21).
166 L’élégance pour « jeter de l’éclat sur le langage » ; la convenance pour « mettre son couronnement à l’éloquence » (De l’orateur, Livre III, XXIV, 91, page 36). « toutes deux ont pour effet de rendre le discours aussi agréable que possible aux auditeurs, de lui ouvrir le mieux possible le chemin de leurs cœurs et de l’appuyer sur un fond aussi nourri que possible. » (De l’orateur, Livre III, XXIV, 91, pages 36-37).
167 « Les mêmes ornements du style à peu près pourront d’ailleurs être employés partout, là avec plus de hardiesse, ici avec plus de réserve. » (De l’orateur, Livre III, LV, 212, page 88).
168 Il distingue également le style des orateurs (i) du style des philosophes - qui est « tendre », qui « craint le soleil » et qui « ne s’arme pas des mots faits pour le public » (L’orateur, XIX, 64, page 23) ; (ii) du style des sophistes - trop raffiné - ; (iii) du style des historiens - « style étiré et coulant, non celui tendu et vif de l’orateur » (L’orateur, XX, 66, page 23) - ; et (iv) du style des poètes - « grand et orné » (L’orateur, XX, 68, page 24), utilisant le vers.
169 L’orateur attique ne devra pas développer son action oratoire mais pourra en revanche utiliser des traits d’esprit – il en existe deux sortes : « la verve » et « la causticité » : « Il emploiera les deux, mais l’un pour raconter avec jovialité, l’autre pour lancer et décocher une raillerie » (L’orateur, XXVI, 87, page 31).
170 Ce style comporte des dangers : l’orateur qui ne fait usage que de ce style passera pour un fou . « L’orateur simple, parce qu’il parle avec finesse et a du métier, est tenu généralement pour sage ; le moyen, pour agréable ; mais celui-ci, le très abondant, s’il n’est rien d’autre, c’est à peine s’il passe pour sain d’esprit. » (L’orateur, XXVIII, 99, page 34).
171 « l’emploi en est permis aux poètes plus facilement qu’à nous, à cause des libertés qu’on leur passe ; toutefois, de loin en loin, même en prose, un mot poétique donne un caractère de noblesse. » (De l’orateur, Livre III, XXXVIII, 153, page 60).
172 Hormis l’allégorie : « Il en est bien un autre [procédé brillant], qui découle de celui-ci [la métaphore], mais il ne porte pas sur un seul mot employé métaphoriquement ; il se trouve dans un groupe de mots formant un tout, qui semblent dire une chose et en font comprendre une autre. » (De l’orateur, Livre III, XLI, 166, page 66).
173 Cicéron précise que c’est Gorgias qui a été le premier à rechercher cette symétrie notamment en introduisant l’antithèse. « Les anciens, déjà avant Isocrate, aimaient ce genre, et surtout Gorgias dans le style duquel le nombre résulte la plupart du temps de la seule symétrie. » (L’orateur, L, 167, page 63).
174 Les figures de pensée sont elles aussi envisagées dans la partie « arrangement des mots » mais elles ont un rôle moindre par rapport aux figures de mots. « Quant aux mots considérés dans leur groupement, ils contribuent à l’ornementation, s’ils apportent un effet de symétrie qui disparaisse quand on change les mots alors que le sens demeure ; car les ornements de pensée, lesquels subsistent même si on change les mots, sont sans doute en très grand nombre, mais il y en a peu qui s’imposent. » (L’orateur, XXIV, 81, page 29).
175 « Isocrate, dit-on, fut le premier qui, pour flatter l’oreille, selon l’expression de Naucrate, son disciple, établit la règle d’assujettir à un rythme, la prose, jusque-là sans règles. » (De l’orateur, Livre III, XLIV, 173, page 70).
176 Le nombre oratoire est donc plus étendu que le nombre poétique, qui lui se limite à l’utilisation de mètres : « il faut entendre que prose et poésie ne sont ni par trop en opposition ni sans rapport aucun. D’où résulte que le nombre ne se présente pas de la même façon en prose qu’en vers et que ce qu’en prose on appelle nombreux n’est pas toujours le produit du nombre, mais quelquefois soit de la symétrie soit de la construction des mots. » (L’orateur, LX 202, page 78).
177 « À ce propos, la plus grande difficulté est peut-être la suivante : si, en prose, les mots sont groupés de manière à former un vers, c’est un défaut, et néanmoins nous voulons qu’ils soient groupés de manière à rappeler le vers par leur cadence rythmée, leur forme symétrique et pleine. » (De l’orateur, Livre III, XLIV, 175, page 71).
178 « l’on n’exige pas ici ce soin et ce travail si précis imposé aux poètes, que la loi du genre ainsi que le rythme et la mesure mêmes forcent à enfermer les mots dans le vers avec une rigueur telle que rien ne doit, fût-ce du plus léger souffle, être plus court ou plus long que la règle ne le comporte. » (De l’orateur, Livre III, XLVIII, 184).
179 Cicéron parle à ce sujet de « l’art de clore la phrase » (L’orateur, L,169, page 65).
180 La langue latine distingue syllabes brèves et syllabes longues.
181 « nous faisons souvent des vers dans notre prose sans le vouloir. » (L’orateur, LVI, 189, page 73).
182 « c’est l’ordre des pieds qui fait que ce que nous prononçons ait l’air d’être de la prose ou de la poésie » (L’orateur, LXVIII, 227, page 88).
183 « Mais il y a plus d’une clausule qui fournisse une chute nombreuse et agréable. » (L’orateur, LXIV, 215, page 82).
184 « Ce sont en somme les deux ou trois derniers pieds qu’il faut soigner et marquer, à moins que le reste de la phrase ne soit un peu court et tronqué. Ils peuvent être des trochées, des dactyles, à la file ou alternés, ou bien être constitués par ce péon quatrième, qu’Aristote recommande, ou le crétique, dont le nombre d’unités de mesure est le même. En employant ces clausules tour à tour, on évitera que le dégoût né de la monotonie ne produise chez l’auditeur la satiété, et nous n’aurons pas l’air d’avoir recherché l’effet. » (De l’orateur, Livre III, L, 193, pages 79-80).
185 Chez Cicéron la période complète que délimite la clausule terminale se compose généralement de quatre parties qu’il appelle « membres », ces quatre parties faisant chacune l’équivalent d’un hexamètre. Ces membres sont eux aussi délimités par une clausule (clausule intérieure).
186 Cf. infra, les adversaires de Cicéron.
187 « Ceux qui ne le sentent pas, je ne sais quelles oreilles ils ont ou ce qu’il y a en eux qui ressemble à un homme. Les miennes du moins se plaisent à un circuit de mots achevé et complet, sentent ce qui est tronqué et n’aiment pas ce qui déborde. » (L’orateur, L, 168, page 64).
188 Nous retrouvons la même conception chez Quintilien : « Donc la pratique fréquente de la composition écrite nous préparera suffisamment à réaliser des effets rythmiques similaires, même en improvisant. » (Quintilien, Institution oratoire, Livre IX, 4, 114, [1978], page 263, Les Belles Lettres).
189 Pour Sénèque, Asinius Pollion n’a pas réussi à rivaliser avec le style de Cicéron ; Quintilien dit de lui que pour l’éclat et l’agrément il était si loin de Cicéron qu’il semblait antérieur à lui d’un siècle (Institution oratoire, Livre X, 1, 113).
190 Hégésias de Magnésie, rhéteur de la seconde moitié du IIIe siècle av. J.-C., est considéré comme le père du style asianiste. Ce style, critiqué deux siècles après sa naissance en Asie mineure, a pour traits principaux : une éloquence expressionniste, une action oratoire spectaculaire accompagnée de gesticulations, l’emploi excessif de métaphores tirées de loin, le maniérisme, les rythmes efféminés et les nombreux traits d’esprit. L’atticisme est quant à lui, caractérisé par la pureté de la langue et le bon goût attique.
191 Ce critère fonctionnel se perd devant la gratuité des discours, qui, elle, se développe et contre laquelle se positionne Cicéron.
192 Cicéron critique le style trop recherché, regorgeant de rythmes et de mots rares - style inspiré des nouveaux poètes (les néôtéroi) dont les créations sont de facture alexandrine.
193 Virgile écrit sous le patronage de Pollion qui doit approuver ses vers.
194 César avait demandé au grand historien Varron (116-27 av. J.-C.) un projet pour la construction des deux premières bibliothèques publiques, grecque et latine.
195 Asinius Pollion a repris le travail effectué par Varron et pour lui rendre hommage, il a fait placer dans sa bibliothèque une statue de Varron.
196 Ces recitationes n’étaient destinées au départ qu’à la lecture des œuvres de Pollion - Asinius Pollion lisait ses œuvres devant un public choisi - mais très vite elles entrent dans les pratiques de la mondanité et s’étendent aux cercles d’amis - les auteurs lisent ou font lire une de leurs œuvres.
197 Son patronage a donné naissance au « mécénat » (origine du terme « mécène »).
198
C’est sous son impulsion que Virgile écrit les Géorgiques ;
Virgile déclare même qu’il obéit aux ordres
insistants de Mécène.