Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE

ANNEXE 4 : Figures de pensée (Rhétorique à Hérennius)

FIGURES DE PENSÉE / précisions

DÉFINITIONS

la distribution
« Cette figure a de la richesse. Elle embrasse en effet beaucoup en peu de mots et, en attribuant à chacun son rôle, elle envisage successivement et séparément plusieurs idées. » (Livre IV, 47)

« consiste à assigner des rôles déterminés à plusieurs choses ou à plusieurs personnes. »
Exemple : « Le rôle du sénat est d’aider les citoyens de ses conseils ; le rôle du magistrat est de seconder par son activité et sa diligence la volonté du sénat et du peuple ; le rôle du peuple est de choisir et d’approuver par ses suffrages les décisions les meilleures et les hommes les plus capables. »
(Livre IV, 47)

le franc-parler

« quand, devant des gens que nous devons respecter ou redouter, nous formulons - en usant de notre droit de nous exprimer - un reproche mérité à leur endroit ou à celui des personnes qu’ils aiment, à propos de quelque erreur. »
Exemple : « Vous vous étonnez Quirites, que vos intérêts soient délaissés par tous ? que personne ne prenne en main votre cause ? que personne ne se déclare votre défenseur ? Attribuez-en la responsabilité à vous-mêmes ; cessez de vous étonner. Pourquoi en effet tout le monde ne fuirait-il et n’éviterait-il pas une tâche si ingrate ? Rappelez-vous ceux qui vous ont défendus. Mettez-vous devant les yeux leur dévouement. Puis considérez leur fin à tous. Alors vous comprendrez, pour parler net, que c’est par votre négligence, que dis-je ? par votre lâcheté, que tous ces hommes ont été tués sous vos yeux, alors que leurs ennemis sont parvenus, grâce à vos propres suffrages, à un rang très élevé. »
(Livre IV, 48)

la litote

« consiste à dire qu’il y a chez ceux que nous défendons - ou en nous-même - quelque avantage dû à la nature, au hasard ou au travail, en le minimisant et en l’atténuant par nos propos pour éviter d’afficher un air prétentieux. »
Exemple : « J’ai en effet le droit, juges, de dire que j’ai fait en sorte par mes efforts et mon application de ne pas être des moins instruits dans l’art militaire. »
(Livre IV, 50)

l’exposé
« Grâce à cette figure on peut exciter l’indignation ou la pitié en groupant toutes les conséquences et en les exprimant brièvement en un style clair. » (Livre IV, 51)

 


« figure qui consiste à présenter avec clarté, netteté et vigueur les conséquences d’un fait. »
Exemple : « En effet, juges, si vous prononcez un verdict sévère à l’égard de cet homme, par ce seul jugement vous assassinerez bien des gens à la fois. Son père, si âgé, qui a fondé tout l’espoir de sa vieillesse sur la jeunesse de ce fils, n’aura plus de motif pour vouloir continuer à vivre ; ses jeunes fils, privés de l’aide de leur père, seront exposés aux outrages et au mépris de ses ennemis.
Toute une maison s’effondrera sous le coup de ce malheur immérité.
Mais ses ennemis, à peine en possession de la palme sanglante de cette si cruelle victoire, exalteront devant les malheurs de cette famille. Et l’on verra leur insolence aussi bien dans leurs actions que dans leurs paroles. »
(Livre IV, 51)

la division
« Entre cette division et celle qui forme la troisième partie du discours et dont nous avons parlé dans le livre I après la narration, il y a la différence suivante : celle-ci répartit en les énumérant et en les précisant, les éléments dont la discussion devra remplir tout le discours, celle-là s’emploie immédiatement et embellit le discours en apportant brièvement des raisons pour les deux éléments (ou pour davantage). » (Livre IV, 52)

« la division est la figure qui distingue deux éléments d’une alternative et qui les résout tous deux - raison à l’appui. »
Exemple : « Pourquoi vous adresser un reproche ? Si vous êtes honnête, vous ne l’avez pas mérité ; si vous êtes malhonnête vous n’en serez pas troublé. »
(Livre IV, 52)

l’accumulation

« Il y a accumulation lorsqu’on rassemble en un même endroit des arguments dispersés dans la cause entière pour rendre l’exposé plus vigoureux, plus incisif ou plus accusateur. »
Exemple : « De quel vice, je le demande, l’accusé est-il exempt ? Pourquoi voulez-vous le relaxer ? Il a livré sa vertu ; il a porté atteinte à celle des autres ; cupide, excessif, insolent, arrogant, sans respect pour son père et sa mère, sans gratitude pour ses amis, sans bienveillance pour ses proches, rebelle envers ses supérieurs, méprisant envers ses égaux et ses pairs, cruel envers ses inférieurs, bref insupportable à tous. »
(Livre IV, 52)

l’accumulation qui sert beaucoup dans les causes conjecturales « Cette figure a de la force ; elle est presque toujours nécessaire dans un état de cause conjectural et il faut quelquefois l’employer dans les autres genres de cause et dans tout type de discours. » (Livre IV, 53)

« quand des soupçons, exposés isolément, étaient légers et faibles, mais qu’ils semblent rendre, une fois regroupés, le fait évident et non plus seulement suspect. »
Exemple : « Ne considérez pas, juges, ne considérez pas isolément les indices que j’ai développés, mais rapprochez-les tous et regroupez-les. S’il est vrai que l’accusé avait intérêt à la mort de cet homme ; si de plus sa vie est pleine de turpitude, son âme remplie de cupidité et son patrimoine très entamé ; si le crime aussi n’a profité qu’à l’accusé [...] »
(Livre IV, 53)

l’expolition
« quand on plaide une cause, cette figure donne vigueur et beauté au discours » ; « l’expolition est de loin le meilleur moyen de s’entraîner à perfectionner son style. » (Livre IV, 58)

 

« consiste à s’arrêter sur un même point tout en paraissant exprimer des idées toujours différentes. Elle se fait de deux manières : ou bien nous répéterons simplement la même chose ou bien nous parlerons de la même chose. Nous répéterons la même chose non pas de la même façon - ce serait lasser l’auditeur et non orner le discours - mais avec des changements. Les modifications se feront de trois manières : dans les mots, dans le débit, dans le tour. »
Exemple : « Il n’y a pas de péril si grand qu’un homme sage estime devoir s’y soustraire pour le salut de la patrie. Quand il s’agira de sauver durablement la cité, l’homme doué de sains principes pensera sûrement qu’il ne faut éviter aucun danger de mort pour le bien de l’État et il sera toujours d’avis qu’il faut affronter avec ardeur pour la défense de la patrie les combats les plus périlleux pour la vie. »
(Livre IV, 54)

l’insistance1
« L’emploi de cette figure est très utile et caractérise particulièrement le bon orateur. »
(Livre IV, 58)

« quand on s’appesantit assez longuement sur le point le plus solide, sur lequel repose toute la cause, et qu’on y revient assez fréquemment. » (Livre IV, 58)

l’opposition2

« rapproche des contraires. »
Deux types d’oppositions : l’opposition comme figure de mots et l’opposition comme figure de pensée : « Entre ces deux types d’oppositions voici la différence : le premier repose sur un rapide rapprochement de mots ; dans le second on doit rapprocher des idées opposées que l’on compare. »
Exemple : « Vous vous désolez de ses ennuis, mais ce misérable se réjouit des malheurs de l’État ; vous, vous désespérez sur son sort ; lui seul, il a d’autant plus de confiance dans le sien. »
(Livre IV, 58)

la comparaison

« la comparaison est un procédé de style qui applique à une chose un élément de similitude emprunté à une chose différente. On l’emploie pour embellir, pour prouver, pour rendre plus clair, pour mettre sous les yeux. Etant utilisée pour quatre motifs, elle s’exprime aussi de quatre façons : par le contraire, la négation, le parallèle, le rapprochement rapide. »
« Pour orner on l’emploie sous la forme du contraire. »
« Pour démontrer, la comparaison sera employée sous la forme de négation. »
« Pour mettre le fait sous les yeux la comparaison sera employée ainsi - on l’exprimera sous la forme d’un parallélisme. »
« La comparaison sera employée pour donner plus de clarté à l’expression - la forme est celle d’un rapprochement rapide. »
(Livre IV, 59-60)

l’exemple

« consiste à citer un fait ou un propos du passé dont on peut nommer l’auteur avec précision. On l’emploie pour les mêmes motifs que la comparaison.
Il rend l’idée plus brillante quand il est utilisé seulement pour orner ; plus intelligible quand il clarifie ce qui est obscur ; plus plausible quand il donne à l’idée plus de vraisemblance ; il met la chose sous les yeux quand il exprime tous les détails avec tant de netteté que l’on peut, pour ainsi dire, presque la toucher du doigt. »3 (Livre IV, 62)

l’image
« On l’utilise pour louer ou pour blâmer. »4 (Livre IV, 62)

« l’image est une comparaison entre deux formes présentant une ressemblance. » 
Exemple : Pour louer « Il allait au combat avec l’aspect physique du taureau le plus terrible, avec l’impétuosité du lion le plus agressif. »
(Livre IV, 62)

le portrait

« consiste à peindre et à représenter avec des mots l’aspect physique d’une personne avec suffisamment de précision pour qu’on la reconnaisse. »
Exemple : « Je parle, juges, de cet homme rougeaud, petit, voûté, aux cheveux blancs et un peu crépus, aux yeux verts, avec une grande cicatrice au menton - si vous pouvez vous souvenir tant soit peu de lui. »
(Livre IV, 63)

la peinture de caractère
« Les peintures de ce genre, qui décrivent chez quelqu’un un comportement en accord avec son caractère, présentent un très vif agrément. Elles mettent en effet sous les yeux le caractère de quelqu’un dans son entier : d’un vantard (comme nous avons commencé à le faire à titre d’exemple) ou encore d’un envieux, d’un vaniteux, d’un cupide, d’un ambitieux, d’un séducteur, d’un débauché, d’un voleur ou d’un délateur. Bref on peut mettre en lumière par une peinture comme celle-ci les passions de n’importe qui. » (Livre IV, 65)

« consiste à décrire un caractère avec des traits déterminés qui, comme des marques distinctives, lui sont propres. »
Exemple : « si vous voulez décrire non un vrai riche mais un quelqu’un qui fait semblant de l’être, vous direz “Cet homme, juges, qui estime admirable de passer pour riche, voyez maintenant d’abord de quel air il nous regarde. Ne semble-t-il pas vous dire : “ Je vous donnerais de l’argent si vous ne me causiez pas de difficultés” ? ” [ ...] »
(Livre IV, 63-64)

le dialogisme

« consiste à faire tenir à une personne un langage qui soit en accord avec sa situation. »
« Il y a aussi des dialogismes au second degré. Exemple : “Que diront-ils, à notre avis, si vous prononcez cette sentence ? Tous les gens ne diront-ils pas ... ?” puis on ajoute leurs propos. »
(Livre IV, 65)

la personnification
« Elle est très utile dans les parties de l’amplification et dans le pathétique. »
(Livre IV, 66)

« consiste à mettre en scène une personne qui n’est pas là, comme si elle était présente, ou à donner la parole à une chose muette ou abstraite, et à lui attribuer une forme, un langage en accord avec son caractère, ou encore une sorte d’activité. »
Exemple : « Si maintenant le grand L. Brutus revenait à la vie et qu’il fût devant nous, ne tiendrait-il pas ce discours ? : “Moi, j’ai chassé les rois, et vous, vous faites entrer les tyrans ! Moi, j’ai tiré la liberté du néant et vous, maintenant que vous l’avez, vous ne voulez pas la conserver ! Moi, j’ai libéré ma patrie au péril de ma vie et vous, quand il n’y a aucun risque, vous ne vous souciez pas de rester libres !” »
(Livre IV, 66)

l’allusion

« figure qui laisse deviner plus qu’il n’est dit. Elle prend la forme d’une hyperbole, d’une ambiguïté, d’une conséquence, d’une réticence, d’une comparaison. »
(Livre IV, 67)

l’hyperbole

« On procède par hyperbole quand on en dit plus que ne l’admet la vérité, pour donner plus de force au soupçon. »
Exemple : « En si peu de temps cet homme n’a même pas laissé d’un tel héritage un récipient pour se chercher du feu. »
(Livre IV, 67)

l’ambiguïté
« S’il faut éviter les ambiguïtés qui rendent le style obscur, il faut rechercher celles qui produisent ce type d’allusion. Nous les trouverons aisément si nous connaissons le sens - double ou multiple - des mots et si nous y prêtons attention. » (Livre IV, 67)

« Il y a ambiguïté quand un mot peut avoir deux acceptions ou plus mais qu’il est pris dans le sens que veut l’orateur. »
« Par exemple si l’on disait en parlant de quelqu’un qui a reçu de nombreux héritages : “Regarde, toi qui vois si bien ton intérêt”. »
(Livre IV, 67)

la conséquence

« L’allusion procède par conséquence quand on exprime ce qui découle d’une situation et ce qui laisse soupçonner la situation dans sa totalité. »
« Par exemple si l’on disait au fils d’un marchand de salaisons : “ Tiens-toi tranquille, toi dont le père avait l’habitude de se moucher du coude ”. »
(Livre IV, 67)

la réticence

« Il y a réticence quand, après avoir commencé de dire quelque chose, nous nous arrêtons - ce que nous avons dit suffisant à éveiller les soupçons. »
Exemple : « Cet homme, si beau et si jeune, récemment dans une maison étrangère ... je ne veux pas en dire plus ... »
(Livre IV, 67)

(la « comparaison » - l’exemple)
« Il arrive que cette figure ait beaucoup d’agrément et de noblesse : c’est qu’elle permet à l’auditeur de deviner de lui-même quelque chose que l’orateur ne dit pas. » (Livre IV, 67)

« Il y a comparaison quand nous citons un cas semblable sans rien dire de plus, mais en suggérant grâce à lui notre sentiment. »
Exemple : « Non, Saturninus, ne te fie pas trop au nombre des citoyens populaires. Dans leur tombe les Gracques ne sont pas vengés. »
(Livre IV, 67)

la concision
« La concision exprime de nombreux faits en les condensant en peu de mots. Aussi il faut souvent employer cette figure quand les événements ne nécessitent pas un long développement ou quand on n’aura pas le temps de s’y attarder. » (Livre IV, 68)

« exprime une chose avec les seuls mots indispensables. »
Exemple : « En passant il prit Lemnos, puis laissa une garnison à Thasos ; il détruisit ensuite la ville de Cios de Bithynie et, revenu vers l’Hellespont, se rendit aussitôt maître d’Abydos »
(Livre IV, 68)

la description
« Avec de tels récits cette figure est fort utile pour l’amplification et le pathétique. C’est qu’elle met en scène l’événement qu’elle met sous les yeux. » (Livre IV, 69)

« consiste à narrer un fait de telle manière que l’action semble se dérouler et l’événement se passer sous nos yeux. On obtiendra ce résultat en incluant les antécédents, les suites et les détails de l’affaire elle-même ou en n’omettant pas de parler des conséquences ou des circonstances. » (Livre IV, 68)

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NOTES

1 L’auteur ne fournit pas d’exemple de cette figure : « De cette figure je n’ai pu proposer un exemple suffisamment approprié parce que ce lieu n’est pas séparé de l’ensemble de la cause comme le serait un membre, mais qu’il est, comme le sang, répandu dans tout le corps du discours. » (Livre IV, 58, page 207).

2 L’auteur classe cette figure parmi les figures de mots (il s’agit de l’antithèse) et parmi les figures de pensée.

3 L’auteur ne propose pas d’exemple : « Nous aurions donné des exemples pour chaque catégorie si nous n’avions montré à propos de l’expolition, en quoi consiste un exemple et si nous n’avions expliqué, à propos de la comparaison, les motifs de l’employer. » (Livre IV, 62, page 212).

4 Mais aussi « pour exciter la jalousie » et « pour exciter le mépris ». (Livre IV, 62, page 213).